XII
LES DEVOIRS DE SON RANG

L’Honorable Oliver Browne, lieutenant de vaisseau, sa coiffure solidement calée sous le bras, pénétra dans la chambre de poupe et attendit que Bolitho voulût bien lever les yeux de ses cartes et des notes qu’il avait gribouillées.

— Oui ?

Browne restait impassible et parfait comme toujours.

— Voile en vue dans le nordet, amiral.

Il avait appris à l’usage que Bolitho avait déjà entendu le cri de la vigie et qu’il savait que Browne le savait.

— Merci.

Bolitho se frotta les yeux. Il leur avait fallu plus d’une semaine pour rallier le point de rendez-vous : deux jours pendant lesquels ils avaient bien marché, avec un vent favorable du travers sans qu’ils eussent besoin de prendre des ris ni de virer de bord. Puis, le reste du temps, pendant lequel il avait fallu sans arrêt régler les voiles avec des hommes épuisés à force de réduire la toile au passage d’un grain puis de remonter aussitôt pour tout renvoyer.

Ils avaient fait cap à l’ouest vers l’Atlantique avant de remonter les côtes portugaises. Ils n’avaient guère vu de voiles, mais la distance, conjuguée à la lenteur des deux soixante-quatorze, avait rendu toute investigation impossible.

Bolitho avait réfléchi tout seul pendant la plus grande partie de leur navigation, revoyant les plans initiaux de Beauchamp et les confrontant à ce que serait une attaque réelle.

Il laissa tomber ses pointes sèches sur les cartes avant de se lever.

— Et quel est ce bâtiment, je vous le demande ?

Qu’allait-il retrouver de sa petite escadre ? Le Ganymede avait dû prendre contact avec tous les autres, tout le monde savait sans doute que l’amiral allait bientôt les rejoindre.

— Ils prétendent qu’il s’agit d’une frégate, amiral.

Leurs regards se croisèrent. C’était donc la Phalarope, à moins qu’on n’eût affaire à un français parvenu à se faufiler entre les mailles du blocus sans se faire voir.

— Puis-je vous demander ce que vous comptez faire, amiral ? ajouta Browne.

— Je vais aller voir Emes.

Il croyait entendre Herrick. Laissez-moi régler les choses avec lui, amiral. Je vais m’occuper de son avenir ! Direct, mais maladroit. Comment Adam prendrait-il la chose ? se demandait-il. Il avait manqué perdre deux fois sa jeune existence en défendant le nom de son oncle. Non. Emes ne l’avait pas massacré comme quelqu’un qui aurait brisé la carrière d’Adam pour préserver la sienne. Encore que, devant une cour martiale, tout pût arriver.

Il entendit le pas de Herrick dans la coursive et, comme Ozzard se précipitait pour ouvrir la portière de toile, Bolitho lâcha :

— Laissez-nous, Oliver.

Herrick entra en trombe en remarquant à peine l’aide de camp qui sortait.

— Asseyez-vous, Thomas, lui dit Bolitho, et restez calme.

Herrick balaya du regard la chambre, encore à demi aveuglé par la lumière qui régnait sur la dunette.

— Calme, amiral ? C’est beaucoup demander ! – il eut un rictus. C’est la Phalarope, nous en sommes sûrs – et, levant le sourcil : Je vois que vous n’en êtes pas surpris, amiral.

— Non. Le commandant Emes a pris le commandement pendant notre absence, c’est un homme d’expérience. Sans les ennuis qu’il a connus dans le temps, ce qu’il a fait devant l’île d’Yeu n’aurait pas soulevé beaucoup de critiques, même de votre part.

— J’en doute, répondit Herrick en se trémoussant dans son siège, peu convaincu.

Bolitho s’approcha des fenêtres de poupe et s’absorba dans l’observation de quelques mouettes qui plongeaient et remontaient sous la voûte. Le cuisinier venait sans doute de jeter des épluchures à la mer.

— J’ai besoin de tous les officiers compétents, Thomas. Si l’un deux est en tort, le blâme en retombe sur son commandant. Si c’est le commandant qui montre des faiblesses, la responsabilité en retombe sur l’amiral – il grimaça un sourire. Et, dans ce cas particulier, c’est de moi qu’il s’agit. Non, écoutez-moi jusqu’au bout, Thomas. La plupart des officiers de cette escadre sont assez novices, et le pire qu’ils aient essuyé jusqu’ici, ce sont les colères du maître pilote ou du second. Ai-je tort ?

— Eh bien, je crois que non, amiral.

— Voilà ce que n’appelle pas vraiment être d’accord, répliqua Bolitho avec un grand sourire, mais c’est un début. Si, comme j’en ai l’intention, nous attaquons et réussissons à détruire ces bâtiments français, il faudra que je puisse compter sur mes commandants. Il est évident que nous n’aurons pas de renforts et Sir John Studdart n’avait jamais entendu dire qu’il y en eût de prévus – il avait du mal à dissimuler son amertume. Pas même un seul misérable brick armé !

Au-dehors, ils entendirent Wolfe crier dans son porte-voix, puis le claquement des poulies et des drisses tandis que les hommes couraient exécuter ses ordres.

Herrick se leva :

— Nous allons virer de bord, amiral.

— Allez-y, Thomas. Lorsque vous serez paré, vous pouvez mettre en panne et demander au capitaine de vaisseau Emes de venir à bord. Il doit s’y attendre.

— Je crois cependant…

Herrick sourit à contrecœur et se corrigea :

— Bien, amiral.

Browne entra dans la chambre. Il avait l’air assez étonné.

— On signale à la Phalarope, amiral : « Commandant à bord du vaisseau amiral. » Je croyais que vous demanderiez à votre neveu de venir lui aussi, amiral ?

— J’ai hâte de le voir – il leva les yeux au plafond en entendant le bruit des pieds nus sur le pont essardé. Mais je ne serais pas fier de me servir de lui.

— Vous servir de lui, amiral ?

— C’est Emes qui commande la Phalarope, et il peut très bien décider d’amener son second avec lui en manière de politesse. S’il en décide autrement, il aura la scène pour lui tout seul, sans rival, car il est le premier commandant à nous rencontrer. Mais s’il décide de l’amener, il court le risque que mon neveu donne son avis.

— C’est très subtil, amiral ! répondit Browne dont le visage s’éclaira soudain.

— J’apprends, Oliver. Lentement, certes, mais j’apprends.

La chambre s’inclina fortement d’un bord et Bolitho entendit les vergues craquer tandis que le Benbow remontait doucement dans le lit du vent. Il aperçut le Nicator qui se tenait à bonne distance sous voilure réduite pour veiller sur ses conserves.

— Je monte sur le pont, amiral.

— Oui, et tenez-moi au courant.

Browne prit sa coiffure et demanda en hésitant un peu :

— Si le capitaine de vaisseau Emes n’arrive pas à vous convaincre, amiral…

— Je le renverrai par le premier bateau. J’ai besoin d’officiers de valeur, je l’ai déjà dit au commandant Herrick. Mais j’aimerais mieux envoyer la Phalarope à l’ennemi sous le commandement d’un aspirant que de risquer des vies pour satisfaire mon amour-propre !

Browne hocha la tête et se hâta de monter : une nouvelle leçon.

Herrick le vit émerger au soleil et lui demanda d’un ton irrité :

— Que faisiez-vous donc, monsieur Browne ?

— Notre amiral, commandant. Sa manière de voir les choses, on dirait un artiste qui peint un tableau.

— Ouais…

Herrick se retourna pour observer la frégate qui venait dans le vent, voiles à contre, et se préparait à mettre un canot à la mer. Il ajouta en ricanant :

— Espérons que quelqu’un ne cassera pas le cadre avant que l’œuvre soit terminée ! – et, voyant l’air surpris de Browne : Oh oui, monsieur Browne avec un e, on est quelques-uns ici à avoir aussi nos idées !

Browne, réprima un sourire et se dirigea vers le bord sous le vent, cependant que le major Clinton, dont le visage brûlé par le soleil était presque de la même couleur que sa tunique, se dirigeait vers Herrick en aboyant :

— La garde d’honneur, commandant !

— Bien. Rassemblez les hommes sur le bord, major, nous recevons un capitaine de vaisseau – il recula un peu et ajouta dans sa barbe : Pour l’instant.

— Le canot a poussé, commandant ! cria l’aspirant de quart.

Browne se précipita sous la poupe et trouva Bolitho debout près des fenêtres comme s’il n’avait pas bougé.

— Le canot de la Phalarope se dirige vers nous, amiral.

Il vit les mains de Bolitho se crisper dans son dos : il était tendu comme un ressort.

— Le capitaine de vaisseau Emes a amené votre neveu avec lui, ajouta tranquillement Browne.

Il espérait une réponse impulsive, une marque de soulagement. Mais au lieu de cela, Bolitho lui répondit :

— Autrefois, je croyais que les officiers généraux étaient des espèces de dieux. Je croyais qu’ils créaient des situations, prenaient des décisions, tandis que le petit peuple se contentait d’obéir. A présent, je pense différemment. Après tout, peut-être le vice-amiral Studdart avait-il raison.

— Amiral ?

— Rien. Dites à Ozzard de m’apporter ma vareuse. Si je ressens des émotions contradictoires, je suis certain qu’Emes est dans un état bien pire. Nous verrons bien, hein ?

Il entendit les trilles des sifflets, le bruit de bottes étouffé des fusiliers près de la coupée.

Comme Ozzard lui enfilait sa veste, Bolitho songea soudain à son premier commandement : minuscule, bondé, toujours si intime.

Il croyait alors, et il croyait encore, qu’avoir un bateau était le cadeau le plus précieux que l’on pût faire à un être vivant.

A présent, les autres commandaient, alors que lui était forcé de les conduire et de décider de leur destin. Mais peu importait, il n’oublierait jamais ce que son premier commandement avait représenté pour lui.

— Le capitaine de vaisseau Emes, de la Phalarope, annonça Browne.

Bolitho attendait, debout.

— Vous pouvez disposer.

S’il avait rencontré le capitaine de vaisseau Emes à terre ou en tout autre endroit, il ne l’aurait sans doute pas reconnu. Il se tenait de l’autre côté de la table, encore très droit, sa coiffure sous le bras, et serrait fermement son sabre de l’autre main, trop fermement. Malgré sa mission devant Belle-Ile et le grand beau temps qui avait donné aux équipages un teint hâlé, Emes était d’une pâleur de mort. A la lumière du soleil qui se réfléchissait dans les vitres, sa peau était couleur de cire. Il avait vingt-neuf ans, mais en accusait dix de mieux.

— Vous pouvez vous asseoir, commandant. Il s’agit d’une rencontre informelle car, comme il est de mon devoir de vous le dire, il est probable que vous serez appelé à comparaître devant une commission d’enquête et, au pis…

Il haussa les épaules.

— … dans ce dernier cas, je serai appelé plus comme témoin que comme membre de la cour, en tant que votre amiral.

Emes s’assit avec précaution sur le bord de son siège.

— Oui, amiral, je comprends.

— J’en doute. Mais en attendant la suite des événements, j’ai besoin d’entendre vos explications sur votre conduite au matin du 21 juillet, lorsque le Styx s’est perdu.

Emes commença à parler lentement, d’une voix ferme, comme s’il revivait ce jour.

— J’étais dans une position telle que je pouvais facilement voir les français du côté du large et également ceux que vous aviez l’intention d’engager. Comme l’ennemi avait l’avantage du vent, j’en conclus que nous n’avions aucune chance de détruire les chaloupes de débarquement puis d’avoir le temps de tirer au large. Je me suis placé au vent, comme prescrit, au cas…

Bolitho le fixait, impassible. Il eût été facile de le traiter de poltron. Mais on pouvait tout aussi bien éprouver de la pitié pour lui. Il demanda :

— Lorsque le Styx a heurté cette épave, que s’est-il passé ensuite ?

Emes regardait autour de lui comme un animal pris au piège.

— Le Styx n’avait aucune chance de s’en sortir, je l’ai vu prendre le choc de plein fouet, les mâts tombés, la barre désarmée. Ce n’était plus qu’une épave. Je… j’ai voulu mettre mes embarcations à l’eau et tenter une opération de sauvetage. Il n’est jamais agréable de rester sans rien faire lorsque des gens sont en train de mourir.

— C’est pourtant ce que vous avez fait.

Le son de sa propre voix le surprit lui-même : froide, vide de tout sentiment, de toute sympathie.

Emes le regarda brièvement avant de poursuivre cette confession torturante. Il continua :

— J’étais dès lors l’officier le plus ancien. Je n’avais que Le Rapide avec moi, et ce n’est jamais qu’un brick de quatorze canons. Je ne voyais aucun espoir de sauvetage. La Phalarope se serait fait capturer par les vaisseaux ennemis qui se trouvaient sous le vent, toute la toile dessus. Un vaisseau de ligne et deux frégates. Que pouvait faire en face d’eux un vieux bâtiment comme le mien, sinon tenter une bravade inutile et sanglante ? Le Rapide aurait été lui aussi coulé.

Bolitho lisait des émotions contradictoires sur la figure pâle d’Emes, le combat de la conscience contre la raison.

— Comme officier le plus ancien, j’avais des responsabilités envers le commandant Duncan, de l’Epervier. Il était dans l’ignorance de ce qui se passait. Isolé, sans soutien, il allait subir le même sort. Toute notre force était en passe d’être anéantie et la porte de sortie de l’ennemi allait rester sans aucune surveillance – il baissa les yeux en serrant son chapeau sur ses genoux, comme pour y puiser de l’énergie. J’ai donc décidé de rompre et ordonné au Rapide de suivre mes instructions. J’ai ensuite repris mes patrouilles et continué à bloquer les ports, conformément à mes ordres. Lorsque le Ganymede est arrivé, j’ai pu combler le trou laissé par le vaisseau du commandant Neale – il leva la tête, les yeux chavirés.

J’ai été bouleversé en apprenant sa mort – puis, baissant les yeux : Voilà tout ce que j’ai à déclarer, amiral.

Bolitho se laissa aller dans son fauteuil en le regardant intensément. Emes n’avait pas essayé de plaider sa cause ni d’excuser ses actes.

— Et à présent, commandant, regrettez-vous vos décisions ?

Emes haussa les épaules, d’un mouvement qui parut lui secouer tout le corps.

— Sincèrement, amiral, je ne sais pas. Je savais qu’en abandonnant le Styx et ses rescapés, j’abandonnais également mon amiral à son sort. Compte tenu de mes antécédents, je me suis dit que j’aurais peut-être mieux fait de jeter le bon sens aux orties et d’aller me battre. Les officiers que j’ai rencontrés depuis lors n’ont pas caché leurs sentiments. J’ai ressenti une certaine hostilité en montant à bord du Benbow, j’en sais même qui seraient heureux de me condamner à vos yeux. La cour martiale ? – il releva la tête avec un air de défi : Je suppose que c’est inévitable…

— Mais vous pensez néanmoins que Leurs Seigneuries auraient tort de poursuivre dans cette voie ?

Emes se débattait avec sa conscience, comme si elle avait été extérieure à lui-même.

— Il me serait facile de m’en remettre à votre compassion, amiral. Après tout, vous auriez pu être tué par une balle perdue quelques minutes après le début de l’engagement et je me serais retrouvé à commander, de toute manière. J’aurais alors ordonné à Neale de rompre le combat. S’il m’avait désobéi, c’est lui qui serait passé en cour martiale, pas moi.

Bolitho se leva et s’approcha des fenêtres de poupe. Il voyait la Phalarope en panne à deux encablures, le soleil lui donnait des couleurs cuivrées de pain d’épice. Que pensait-elle de son dernier commandant ? Il voyait l’image d’Emes qui se reflétait dans les vitres épaisses, il se tenait tout raide, comme inanimé. L’homme pesait ses chances, mais n’avait pas encore rendu les armes.

— Je connaissais fort bien John Neale, commença Bolitho. Je l’ai connu jeune aspirant sous mes ordres. Il en est de même pour le commandant Keen, du Nicator, alors que le commandant Inch, qui va bientôt nous rejoindre avec son Odin, a été mon second. Et il en est bien d’autres encore que je connais depuis des années, que j’ai vus grandir dans la marine, répondre à ses exigences ou mourir à cause d’elles.

Il entendit Emes murmurer d’une voix rauque :

— Vous avez de la chance, amiral. Je vous envie tous ces amis et leurs qualités.

Bolitho se retourna et le regarda d’un air interrogatif.

— Et puis il y a mon neveu, naturellement. Je l’ai connu aspirant, il est maintenant votre second.

— Je sais pertinemment quelle rancœur il éprouve à mon égard, répondit Emes en acquiesçant.

Bolitho retourna s’asseoir et jeta un regard sur le tas de cartes et de bouts de papier qui seraient toujours là lorsqu’il aurait fait disposer Emes. Il aurait été si simple de le relever de son commandement sans attendre l’arrivée d’un remplaçant. Un lieutenant de vaisseau ancien, quelqu’un dans le genre de Wolfe, pourrait facilement assumer pareil commandement sauf s’il en jugeait autrement. Pourquoi courir davantage de risques, alors que tant de choses étaient en jeu ?

Et pourtant… Ces deux mots revenaient sans cesse dans sa tête, comme des épines.

— Ce sont tous des gens dont l’aide m’est précieuse, Emes, alors que vous, vous êtes un fardeau supplémentaire. A cause de moi, ils vous détestent peut-être. Mon meilleur ami lui-même, le commandant Herrick, homme d’une grande intégrité et dont le courage n’est pas mince, s’est laissé aller à la colère. Lui, après tout, a risqué sa carrière, peut-être même son bâtiment, sur une simple impulsion, sur sa simple conviction qu’il serait capable de me retrouver. Ainsi, voyez-vous, votre décision, si logique fût-elle, pourrait être vue autrement par d’autres qui n’étaient même pas présents en cette funeste matinée.

Emes se tut un moment avant de répondre d’une voix sombre :

— Dans ce cas, il n’y a aucun espoir, amiral.

Comme le bâtiment semblait tranquille ! songea Bolitho. On eût dit qu’il retenait son souffle, à l’exemple de tous ceux qui peinaient à bord de cette coque profonde. Il avait souvent connu de tels moments. En ces sombres jours de mutinerie, à Spithead et dans la flotte du Nord, pour commencer. Le coup d’un canon de salut, le verdict d’une cour martiale qui avait brisé maints officiers de valeur plus sûrement qu’un nœud coulant à la grand-vergue, et ces séances de fouet impitoyables dans toute la flotte qui avaient tué tant de marins !

— Il y a toujours de l’espoir, commandant, fit enfin Bolitho en se levant.

Emes se leva à son tour, comme pour recevoir sa sentence. Mais il poursuivit :

— Pour ma part, je pense que vous vous êtes conduit comme il convenait, et j’y étais.

— Amiral ?

Emes se balançait et pencha la tête comme s’il était soudain devenu sourd.

— Je sais maintenant que les bâtiments français se sont retrouvés là parce que les choses avaient été arrangées ainsi. A l’époque, aucun d’entre nous ne le savait. Si j’avais été à votre place, j’aurais agi exactement comme vous l’avez fait. Et je vais l’écrire à Leurs Seigneuries.

Emes le regarda pendant de longues secondes.

— Merci, amiral. Je ne sais que dire. Je voulais me comporter de manière honorable, mais tout ce que je pouvais imaginer me conduisait à la même conclusion. Je vous suis bien plus que reconnaissant. Vous ne saurez jamais ce que cela représente pour moi. Je peux encore supporter ce que les autres peuvent dire ou penser de moi, cela n’a pas d’importance ? Mais vous… – il haussa les épaules, éperdu – … j’espère que je saurais montrer autant d’humanité si nos rôles étaient inversés.

— Très bien. Envoyez-moi un rapport détaillé sur ce que vous avez découvert pendant vos patrouilles en… euh… en mon absence. Et lorsque vous verrez Le Rapide, demandez-lui de prendre immédiatement contact avec moi.

Emes s’humecta les lèvres.

— Bien, amiral.

Puis il fit demi-tour. Il s’apprêtait à sortir quand il se ravisa.

— Allez, commandant Emes, dites ce que vous avez à dire. D’ici peu, nous serons bien trop occupés pour laisser libre cours airs récriminations.

— Une seule chose, amiral. Vous venez de dire : A votre place, j’aurais agi exactement comme vous l’avez fait.

— Ai-je dit cela ? fit Bolitho en fronçant le sourcil.

— Oui, amiral. Cela était aimable à vous, mais maintenant que je comprends ce que vos hommes éprouvent pour vous, même si je n’ai jamais eu la chance de servir avec vous et de l’apprendre par moi-même, je sais que votre « j’aurais dû agir » est exactement la vérité.

— Eh bien, répondit Bolitho, à présent, vous servez sous mes ordres, commandant, n’en parlons donc plus.

Lorsque Emes se fut retiré, Browne entra sans rien dire, les yeux brillants de curiosité.

— C’est lui qui devrait être amiral, Oliver, fit brusquement Bolitho, pas moi.

Mais il se secoua et essaya de remettre les choses à leur place. Emes avait été correct. Peut-être avait-il employé intentionnellement l’expression j’aurais agi. Au fond de son cœur, il savait bien qu’il serait venu au secours du Styx, sans se préoccuper du reste. Pourtant, Emes était dans le vrai, cela était tout aussi certain.

Browne toussota poliment.

— Je vois que vous allez devoir fournir quelques explications, amiral.

Il tient la portière ouverte et Bolitho aperçut Pascœ qui courait presque dans l’autre chambre, tant il avait hâte de le voir.

Ils restèrent sans rien dire pendant un long moment, puis Pascœ s’exclama :

— Je ne peux pas vous dire l’effet que ces nouvelles ont fait sur moi, mon oncle. Je pensais… – il ne trouvait pas ses mots – … nous pensions tous…

Bolitho mit le bras sur l’épaule du jeune officier et ils s’approchèrent ensemble des fenêtres. Le bâtiment était tout entier dans leur dos, ils ne voyaient que la mer, vide à présent que la Phalarope était tombée sous le vent et se détachait seule sur l’horizon.

Son uniforme de lieutenant de vaisseau ne changeait guère le jeune homme qui avait embarqué à bord de l’Hyperion comme jeune aspirant. Ses cheveux noirs, coupés court comme c’était alors la mode, étaient toujours aussi indisciplinés. A voir sa silhouette, on se disait qu’il aurait bien eu besoin de six mois de cuisine cornouaillaise pour remettre un peu de chair sur tous ces os.

— Adam, vous devez savoir que j’ai été assez préoccupé lorsque j’ai su que vous embarquiez sur la Phalarope, même si la perspective de se retrouver second d’une frégate à vingt et un ans est à damner un saint. Ce que vous n’êtes certes pas ! Le commandant Emes ne m’a pas rendu compte de vos progrès, mais je ne doute pas un instant que…

Il sentit que Pascœ se raidissait en le voyant se tourner vers lui, l’air incrédule.

— Mais, mon oncle ! Vous ne l’avez tout de même pas autorisé à rester ?

Bolitho tendit le doigt :

— Vous pouvez bien être mon neveu et, lorsque je me sens un peu abattu, il m’arrive d’admettre que j’ai une certaine affection pour vous…

Mais cette fois-ci, cela ne marchait pas. Pascœ était campé là, les poings sur les hanches, ses yeux noirs étincelaient.

— Il vous a laissé mourir ! Je n’y comprends rien ! Je l’ai supplié ! J’ai manqué lui voler dans les plumes ! – il secoua violemment la tête. Il n’est pas qualifié pour avoir la Phalarope, ni aucun autre bâtiment !

— Comment l’équipage de la Phalarope s’est-il conduit lorsque le commandant Emes a ordonné de virer de bord et de s’éloigner de l’ennemi ?

Pascœ cilla, déconcerté par la question.

— Les hommes ont obéi, naturellement. De toute manière, ils ne vous connaissent pas comme je vous connais, mon oncle.

Bolitho le prit par l’épaule et secoua la tête, gentiment mais fermement.

— Je vous aime bien pour toutes ces raisons, Adam, mais cela abonde dans mon sens. C’est précisément ce que je viens de faire avec votre commandant.

— Mais, mais…

Bolitho le lâcha en souriant d’un sourire triste.

— A présent, ce n’est plus l’oncle qui s’adresse à un neveu, c’est l’amiral commandant cette escadre qui s’adresse à l’un de ses officiers, un sacré phénomène au demeurant. Emes a agi au mieux, compte tenu de ce qu’il savait, même après avoir considéré ce que diraient et penseraient les gens de son interprétation. Nous ne connaissons pas toujours celui qui dirige, de même que je ne prétends pas connaître le visage de tous les marins et de tous les fusiliers qui m’obéissent.

— Je crois que je comprends.

— Parfait, répondit Bolitho en hochant la tête. J’ai déjà assez de problèmes pour ne pas me lancer dans une guerre avec vous.

Pascœ lui sourit.

— Tout ira bien désormais, mon oncle, vous verrez.

— Je suis sérieux. Emes exerce le commandement, vous avez le devoir de mettre à sa disposition toutes vos compétences, pour le bien de votre bâtiment. Si vous deviez tomber au combat, il faut qu’il n’y ait aucune fissure entre votre commandant et son équipage. La passerelle qu’établit un second entre la dunette et le gaillard d’avant doit être maintenue à tout prix. Et si Emes devait mourir, les hommes devraient vous considérer comme leur chef et avoir tout oublié d’éventuels petits frottements.

— Je suppose que oui, mon oncle. Pourtant…

— Parfait, vous devenez comme Herrick. Allez, fichez-moi le camp et regagnez votre bâtiment. Et puisse le ciel vous protéger si vous manifestez le moindre relâchement, car je saurai sur qui faire porter le blâme.

Pour le coup, Pascœ fut incapable de réprimer le large sourire qui vint fleurir sur ses lèvres.

— Très bien, mon oncle.

Ils gagnèrent ensemble la dunette où Herrick les attendait en compagnie du commandant Emes. Lui ne disait rien, et il ne souriait pas.

— Amiral, le vent fraîchit, commença Herrick. Puis-je suggérer que l’on rappelle le canot de la Phalarope à la coupée ? – il lança un regard plein de sous-entendus à Emes. Je suis sûr que son commandant a envie de retourner à son bord.

Pascœ leur jeta un rapide coup d’œil avant de s’avancer vers son commandant.

— Je vous remercie de m’avoir autorisé à vous accompagner, commandant.

— Mais c’est avec plaisir, monsieur Pascœ, répondit Emes en le regardant avec circonspection.

Bolitho les retint pour parler un peu à son neveu.

— J’ai retrouvé Belinda Laidlaw à Gibraltar. En ce moment, elle rentre en Angleterre.

Il se sentait devenir cramoisi sous le regard de son neveu qui se mit à sourire.

— Je vois, mon onc… amiral. Je n’étais pas au courant. Je suis sûr que cette rencontre a été très agréable.

Il se tourna vers Herrick en souriant.

— Je veux dire : de toutes les manières possibles.

Ils saluèrent, puis Emes suivit Pascœ et descendit dans le canot qui dansait le long du bord.

— Quel insolent ! marmonna Herrick entre ses dents.

Bolitho se tourna vers lui, soudain sérieux :

— De quoi voulez-vous parler, Thomas ? Quelque chose m’aurait-il échappé ?

— Eh bien, c’est-à-dire…, je…, amiral…

Il se tut, confus.

La grande ombre de Wolfe arrivait.

— Autorisation de remettre sous voile, commandant ?

— Autorisation accordée, coupa Bolitho. Je crains que le commodore ait du mal à rassembler ses mots.

Puis il se dirigea vers le bord du vent, tandis que l’équipage courait une fois encore aux drisses et aux bras.

On apercevait quelques nuages, la mer était plus formée, quelques moutons courts hachaient la surface de l’eau. Il regarda le canot de la Phalarope qui manœuvrait le long de son bâtiment et se souvint de ce qu’avait dit Pascœ. Je suis sûr que cette rencontre a été très agréable. Avait-il tout deviné, ou bien avait-il visé l’endroit où son oncle se sentait coupable ?

Pourtant, une chose était certaine. Pascœ était content pour eux deux, et cela allait l’aider à supporter plus facilement les semaines qui l’attendaient.

 

Après le premier enthousiasme né des retrouvailles avec sa petite escadre, Bolitho eut plus de mal à supporter les jours qui se transformaient en semaines et au cours desquelles il ne se passa rien. Le blocus n’avait pas changé pour lui faire plaisir. La monotonie et l’ennui qu’engendrait le fait de patrouiller en long et en large devant les côtes ennemies par tous les temps avaient produit leur résultat prévisible : du relâchement, avec comme conséquence inéluctable son lot de punitions sur le passavant.

Il n’était guère difficile d’imaginer l’amiral français : il observait leurs voiles de quelque endroit sûr de la côte et prenait son temps pour préparer sa flottille de débarquement, laquelle ne faisait que croître et embellir avant son prochain et peut-être dernier transfert dans la Manche.

Le Ganymede s’était rapproché de terre pour espionner les bâtiments au mouillage, avant d’être contraint de se retirer sous la menace de deux frégates ennemies qui lui avaient foncé dessus au milieu d’un grain. Le réseau à mailles étroites de sémaphores fonctionnait aussi bien que d’habitude.

Mais, avant d’être chassé au large, le commandant du Ganymede avait découvert que le trafic des pêcheurs côtiers s’était intensifié.

A la fin de la troisième semaine, les vigies aperçurent L’Indomptable et l’Odin qui venaient rallier le bâtiment amiral. Bolitho en ressentit un certain soulagement. Il s’était attendu, de la part de l’Amirauté, sinon à un ordre de rappel, du moins à l’injonction de rentrer en laissant le commandement à Herrick. Pareille disposition eût signifié non seulement que c’en était fini des plans de Beauchamp, mais encore que le sacrifice du Styx avait été vain.

Tandis que les trois bâtiments de ligne manœuvraient lourdement sous le vent du Benbow, les marins désœuvrés rassemblés sur les passavants regardaient leurs conserves, comme ont toujours fait les marins et comme ils feront toujours. Des visages connus, des nouvelles de la maison, tout ce qui pouvait trancher sur la routine ennuyeuse du blocus et le rendre plus supportable avant qu’ils fussent enfin relevés.

Bolitho se tenait sur le pont avec Herrick à observer les échanges de signaux. Ils éprouvaient tous deux une certaine fierté à la vue de ces bâtiments familiers. Bolitho n’avait pas revu l’Odin depuis ce combat féroce de Copenhague, mais il imaginait sans peine Francis Inch, son commandant à la figure chevaline, si démonstratif lorsqu’ils avaient le plaisir de se retrouver. Il leur faudrait pourtant attendre un peu. Il fallait échanger les nouvelles, lire les dépêches et y répondre. Et en outre, songea soudain Bolitho, assez déçu, il n’avait aucune raison valable de réunir ses commandants.

Il reprit ses allées et venues habituelles sur la dunette. Il était seul avec ses pensées. Il montait, redescendait, recommençait. Ses pieds évitaient machinalement les palans des pièces ou les glènes de cordage lovées sur le pont.

Les bâtiments réduisirent la toile, et un canot se dirigea vers le Benbow avec un sac d’une taille impressionnante – des lettres spécifiant les instructions de l’Amirauté.

Le temps de terminer sa promenade et de retourner dans ses appartements, Bolitho se sentit vaguement déprimé. Peut-être était-ce l’absence de nouvelles, le froid qui commençait à vous tomber dessus en ce début de septembre. Le golfe de Gascogne était un endroit redoutable par gros temps. Il allait falloir organiser maint exercice de manœuvre et d’école à feu pour garder les équipages en état de combattre.

Il fallait que cela vienne. Sans cela, les Français allaient être empêchés de faire transiter leur flottille de débarquement par mauvais temps, alors que leurs adversaires seraient contraints de s’éloigner de la côte pour la même raison. Il le fallait.

Browne était en train d’ouvrir les enveloppes et de classer les documents officiels d’un côté, tandis qu’il mettait les lettres personnelles de Bolitho sur sa table.

— Pas de nouvelles instructions, amiral, annonça enfin le lieutenant de vaisseau.

Il semblait si content que Bolitho dut réprimer l’envie de répondre qui lui prenait. Ce n’était pas la faute de Browne. Peut-être personne n’avait-il eu l’intention de faire de leur présence autre chose qu’une simple gesticulation.

Ses yeux tombèrent sur l’enveloppe du dessus de la pile.

— Merci, Oliver.

Il s’assit pour déguster la lettre, attentif à lire entre les lignes, ou craignant, ce qu’à Dieu ne plaise, d’y trouver quelque regret de ce qui s’était passé à Gibraltar.

Ses mots lui faisaient l’effet d’une douce brise. Au bout de quelques minutes, il se sentit bizarrement détendu : même sa douleur à la cuisse le laissait en paix.

Elle l’attendait.

Il se leva comme un ressort :

— Signalez à la Phalarope, Oliver, à répéter au Rapide…

Il arpentait la chambre en serrant la lettre dans sa main. Browne, toujours près de la table, le regardait, fasciné par ce soudain changement d’humeur.

— Mais réveillez-vous, Oliver ! lui cria Bolitho. Vous vouliez des ordres ? Eh bien, en voici. Dites au Rapide : « Cherchez le moyen de capturer un bateau de pêche et prévenez lorsque vous serez paré. »

Il se tapotait les lèvres avec la lettre de Belinda, il la huma. Son parfum ! Elle avait dû le faire exprès.

Browne écrivait à toute vitesse dans son cahier et lui demanda :

— Puis-je vous demander pour quoi faire, amiral ?

Bolitho lui sourit :

— S’ils ne sortent pas pour nous rendre visite, nous irons les chercher chez eux !

— Je signale à la Phalarope, répondit Browne en bondissant sur ses pieds.

S’emparer de l’un des petits bateaux de pêche signalés par le Ganymede était loin d’être sans risque. Mais cela ne mettait jamais en jeu qu’une poignée d’hommes. Déterminés, bien commandés, ils pouvaient être le moyen de lui fournir l’accès à l’arrière-cour de l’amiral Remond !

Browne revint au bout de quelques instants, sa vareuse bleue constellée d’embruns.

— Le vent forcit toujours, amiral.

— Bien.

Bolitho se frotta les mains. Il voyait très bien son signal passer d’un vaisseau à l’autre, aussi efficacement et aussi rapidement qu’avec les sémaphores de l’ennemi. Le jeune commandant du Rapide, Jeremy Lapish, venait tout juste d’être promu lieutenant de vaisseau. On disait qu’il était vif et compétent, deux qualités utiles chez quelqu’un qui recherchait reconnaissance et avancement. Bolitho imaginait également assez bien son neveu au moment où il avait vu passer le signal à bord de son bâtiment. Il se serait sans doute bien vu à la tête de cette équipée, avec tous ses risques mais aussi avec la sauvagerie du combat au corps à corps.

Browne alla s’asseoir pour poursuivre l’examen des dépêches scellées du ruban rose de l’Amirauté.

— Je repense au passé, amiral – il fixait Bolitho, l’air grave. Lorsque nous étions prisonniers, on peut dire que, d’une certaine manière, c’est le commandant Neale qui nous a rapprochés. Je crois que nous nous faisions trop de souci pour lui pour nous préoccuper de notre propre situation. Je pense souvent à lui.

Bolitho hocha la tête.

— Il pensera à nous, la prochaine fois que nous rappellerons aux postes de combat, je n’en doute pas – il sourit. J’espère que nous ferons quelque chose dont il pourra être fier.

Le vent forcissait et tournait, la mer passait du bleu au gris ; le crépuscule faisait disparaître la terre, et l’escadre prit ses dispositions pour la nuit.

Plus bas, au plus profond de l’entrepont du Benbow, tandis que le bâtiment gémissait et craquait autour d’eux, Allday et Tuck, le bosco du commandant, étaient assis en silence et partageaient une bouteille de rhum. L’odeur de l’alcool et la faible lueur du fanal qui se balançait au-dessus d’eux les rendaient un peu somnolents, mais les deux hommes étaient heureux.

Tuck demanda soudain :

— A ton avis, John, ton amiral est parti pour se battre ?

Allday leva son verre pour le mirer à la lumière de la chandelle qui pleurait et en examina le niveau.

— Pour sûr qu’il va y aller, Frank.

Tuck fit la grimace.

— Si j’avais une femme comme celle qu’il a mis le grappin dessus, sûr que j’rest’rais soigneusement à l’écart des Français – il eut un sourire admiratif. Et c’est-ti vrai que tu d’meures dans c’te maison quand tu es à terre ?

Allday avait la tête qui dodelinait. Il revoyait les murs de pierre et les haies, comme s’il y était. Les deux auberges qu’il préférait à Falmouth et la fille du George qui lui avait accordé ses faveurs une fois ou deux. Et puis il y avait la nouvelle servante de Mrs. Laidlaw, Polly, pour sûr que c’était un joli morceau.

— C’est vrai, Frank, c’est comme si j’étais de la famille.

Mais Tuck s’était assoupi.

Allday se laissa aller contre une énorme membrure et se demanda pourquoi il se sentait changé. Il essayait toujours de séparer sa vie en mer de celle que Bolitho lui avait offerte à Falmouth.

Il pensait à la bataille qui allait avoir lieu. Tuck était fou s’il croyait que Bolitho allait laisser partir les Grenouilles. Pas maintenant, pas après tout ce qu’ils avaient vu et accompli ensemble.

Ils allaient combattre et ce qui troublait Allday, c’était d’en être aussi affecté. Il dit à voix haute, en s’adressant à son bâtiment : « Je me fais sacrément vieux, voilà ce qui m’arrive. »

Tuck se mit à grogner et murmura :

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Tais-toi, imbécile.

Allday se mit debout.

— Allez, arrive, je vais t’aider à crocher ton hamac.

A huit milles d’Allday et de sa chandelle qui mourait, une autre scène se déroulait dans la petite chambre du Rapide. Lapish, son commandant, expliquait à quelques-uns de ses hommes ce que l’on attendait d’eux.

Le brick tanguait lourdement dans une grosse houle du large, mais ni Lapish ni son costaud de second ne le remarquaient.

— Vous avez vu le signal de l’amiral, Peter, disait Lapish. Vous savez ce que nous cherchons. Je vais larguer la chaloupe aussi près que possible et je resterai au large jusqu’à votre retour, avec ou sans pêcheur – il fit un grand sourire à son second. Vous n’avez pas peur ?

— C’est un moyen d’avoir de l’avancement, commandant.

Ils se penchèrent sur la carte pour terminer leurs calculs.

Le second n’avait jamais adressé la parole à son amiral, il n’avait fait que l’apercevoir et dans le lointain. Mais quelle importance ? Demain, ce serait peut-être un autre amiral qui commanderait. Il posa son sabre sur le banc à côté de ses pistolets préférés. Ou bien je serai mort.

Tout au long de la chaîne hiérarchique, les prochaines heures étaient la seule chose qui eût de l’importance.

— Paré, Peter ?

— Oui commandant.

Ils écoutaient le bruit des embruns qui noyaient le pont. Une nuit harassante à l’aviron en perspective, mais le temps était celui qui convenait à leurs projets.

Et puis, peu importait : ils avaient reçu l’ordre de l’amiral.

 

Victoire oblige
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